Les fibres de lin, de l’Égypte antique aux matériaux composites biobasés

Les fibres de lin, de l’Égypte antique aux matériaux composites biobasésCet article est publié sur The Conversation par Alain Bourmaud, Science des matériaux, Université Bretagne Sud (UBS), Camille Goudenhooft, Enseignante-Chercheuse en mécanique des matériaux et des assemblages, ENSTA Bretagne et Loren Morgillo, Post-Doc spécialisé dans l'analyse des textiles en fibres naturelles, Université Bretagne Sud (UBS).

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

 

The Conversation

 

Le sarcophage de la momie de Cléopâtre de Thèbes, exposée au British Museum, est enveloppé de bandelettes en lin. © The Trustees of the British Museum, CC BY-NC-SA
Alain Bourmaud, Université Bretagne Sud (UBS); Camille Goudenhooft, ENSTA Bretagne et Loren Morgillo, Université Bretagne Sud (UBS)

Des chercheurs étudient les propriétés de fibres antiques issues de bandelettes de momie ou de voiles de bateau, pour mieux comprendre comment le lin peut si bien résister aux attaques du temps.


Les fibres de lin ont, depuis des millénaires, accompagné le développement de nos civilisations, en raison de leurs performances exceptionnelles, mais aussi de la finesse et du confort des textiles qu’elles permettent de confectionner.

Aujourd’hui, leur usage revient à la mode dans le textile, car le lin pousse en France métropolitaine et se développe dans le secteur des matériaux composites, pour ses propriétés mécaniques remarquables et parce qu’il permet de mettre au point des produits plus respectueux de l’environnement.

En étudiant des fibres de lin datant de plusieurs millénaires, nous cherchons à faire le lien entre passé et présent, afin de nous aider à concevoir des composites biobasés et durables. En effet, les matériaux archéologiques en lin, par exemple les bandelettes de momies égyptiennes, sont des témoins extraordinaires qui peuvent nous apprendre de nombreuses choses sur la durabilité de ces fibres — notamment comment peuvent évoluer leurs propriétés mécaniques ou biochimiques au cours du temps.


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Le lin, compagnon des humains depuis l’Égypte ancienne

Le lin, domestiqué par les humains depuis près de 10 000 ans, accompagne depuis toujours le développement des civilisations les plus avancées

C’est l’Égypte antique qui en a développé à la fois les pratiques culturales, mais aussi l’extraction de ses fibres et leur transformation, posant ainsi les bases de l’industrie textile que nous connaissons aujourd’hui. Les fibres de lin permettaient à l’époque la réalisation de fils et de textiles d’une grande finesse, très prisés et utilisés à la fois pour la réalisation de vêtements luxueux, mais aussi pour confectionner les plus prestigieux parements funéraires.

Dès cette époque est apparue la notion de recyclage, les textiles en lin étant la plupart du temps réutilisés, sous forme de bandelettes de momies ou encore en voiles de bateaux.

tunique de lin abimee
Une tunique de lin de l’époque byzantine (VIᵉ-VIIIᵉ siècles), en provenance d’Égypte, exposée au British Museum de Londres. The Trustees of the British Museum, CC BY-NC-SA

De plus, dans l’Égypte ancienne mais aussi plus tardivement, dans l’Europe du Moyen Âge ou de la Renaissance, les textiles en lin, compte tenu de leur valeur, étaient couramment utilisés comme monnaie d’échange et de négociation.

Enfin, les fibres de lin ont depuis l’Antiquité guidé les développements de la marine et en sont un des fils rouges. Utilisées par les Grecs ou Égyptiens anciens pour le calfatage des coques et la réalisation des voiles, leur culture soutenue en Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles a fortement contribué au développement de la marine à voile en France par la réalisation de voiles, cordages ou encore vêtements de matelots.

Fortement concurrencées pour l’habillement, le linge de maison ou les usages techniques par le coton à partir du XVIIIe siècle, puis par les fibres synthétiques depuis le XXe siècle, le lin connaît aujourd’hui un renouveau, que ce soit encore une fois dans le nautisme pour la réalisation de coques ou ponts de bateaux ainsi que de voiles biobasées, mais aussi dans le secteur industriel des transports, par exemple, pour réaliser des pièces d’habillage intérieur et d’isolation pour les voitures.

Le lin, d’hier à aujourd’hui. Source : Synchrotron Soleil CNRS-CEA-Paris Saclay.

Des fibres aux performances exceptionnelles, issues d’une plante essentiellement cultivée en France aujourd’hui

En 2023, l’Égypte représente environ 1 % de la production mondiale de lin, la positionnant parmi les huit principaux pays producteurs à l’échelle mondiale.

Aujourd’hui, le premier producteur mondial de lin textile est la France, dont les surfaces cultivées s’élèvent à 186 000 hectares en 2024 — pour une production d’environ 200 000 tonnes de fibres. En effet, le climat de la côte nord-ouest de la France, caractérisé par une parfaite alternance de jours ensoleillés, une forte humidité et des températures douces, offre aujourd’hui des conditions idéales pour la culture du lin. Cette production reste très minoritaire par rapport aux fibres de coton (26 millions de tonnes dans le monde), mais significative par rapport aux fibres longues de chanvre qui ne concernent que quelques milliers d’hectares en France.

Les fibres de lin possèdent une structure et des propriétés mécaniques hors norme qui sont liées à leur fonction dans la plante et à la structure de cette dernière.

La plante de lin est en effet dotée d’une élongation exceptionnelle : sa croissance est rapide, atteignant une hauteur d’environ un mètre pour un diamètre de tige de quelques millimètres seulement.

champ de lin en fleur
Champs de lin à Saint-Étienne-l’Allier, dans l’Eure. jean-michel gobet, wikipedia, CC BY-SA

Pour tenir debout, elle a développé des fibres d’un diamètre d’environ 15 microns et ayant une longueur de quelques centimètres (celles de bois ne font que quelques millimètres) et regroupées en faisceaux très cohésifs de quelques dizaines d’unités. Ces faisceaux de fibres, répartis en périphérie de la tige, en assurent la stabilité, même en cas de vent ou de pluies soutenues. La nature a ainsi mis au point un modèle mécanique très performant qui peut être une source de bio-inspiration pour la conception des matériaux.

Depuis le début du XXe siècle, les variétés de lin actuelles ont fait l’objet de longues années de sélection variétale afin de produire les plantes les plus riches en fibres et les plus résistantes aux maladies. Les agriculteurs français ont ainsi développé des savoir-faire cruciaux, permettant la récolte de fibres aux qualités optimales — en particulier l’accumulation de chaleur nécessaire à la croissance de la plante, en fonction de la température journalière ; et le rouissage au champ, qui consiste à laisser les tiges de lin reposer dans le champ pendant 3 à 6 semaines, pendant lesquelles des micro-organismes décomposent les tissus entourant les fibres, les préparant ainsi aux étapes de transformation subséquentes.

Cependant, cette culture est confrontée aujourd’hui à de nombreux aléas climatiques. Pour les contrecarrer, la profession travaille à la mise au point de nouvelles variétés plus résistantes à la sécheresse, à la sélection de zones de culture moins arides, et aussi au développement de cultures hivernales.

Si les fibres de lin sont de plus en plus utilisées, dans les textiles ou même les matériaux techniques en raison de leurs performances mécaniques, des verrous scientifiques subsistent pour accélérer le développement de leur usage dans le secteur des matériaux ; par exemple, mieux comprendre leur comportement mécanique et structural sur le long terme, notamment en milieu extérieur, est un point clef.

L’étude de leurs défauts structuraux, qui sont des sites de faiblesses mécaniques mais aussi des portes d’entrée pour l’eau et les micro-organismes tels que les bactéries, micro-organismes et champignons, est aujourd’hui un enjeu scientifique important.

Anubis : un projet pour mieux comprendre et maîtriser la durabilité de ces fibres

Le projet Anubis se veut être un pont entre archéologie, archéométrie (l’analyse quantitative de vestiges archéologiques) et science des matériaux.

Notre approche est d’étudier des objets archéologiques très anciens, parfois âgés de plusieurs millénaires, pour comprendre l’évolution de leurs propriétés et de leur structure au fil du temps. Nos travaux portent principalement sur des fibres de lin égyptiennes issues de textiles mortuaires, de filets de pêche ou encore de vêtements de figurine, sélectionnés par les archéomètres de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire.

Nous travaillons ainsi sur des petits fragments de textiles anciens (de quelques millimètres), prélevés en bordure des œuvres, en utilisant des techniques de caractérisation le moins destructives possible. Elles nous apportent des enseignements sur leurs propriétés, qui peuvent aussi renseigner les archéologues sur de possibles usages anciens. Le nombre de défauts peut, par exemple, être un indicateur de l’usure de la pièce textile.

representation 3D d’une fibre de lin vue par tomographie
Représentation 3D d’une fibre de lin et de ses porosités internes. Ces fibres archéologiques présentent des signes de vieillissement marqués (porosités et fissures). Morgillo et collaborateurs, 2025, Fourni par l'auteur

Pour déterminer les performances mécaniques de ces fibres de lin anciennes, leur constitution biochimique ou bien leur structure, nous utilisons des techniques de pointe. C’est, par exemple, la microtomographie sous rayonnement synchrotron, qui utilise les rayons X pour obtenir des images en coupe d’une extrême précision d’un objet ou d’un matériau, comme les fibres dans notre cas. Elle permet non seulement d’obtenir une vue en 3D de la structure externe, mais aussi d’analyser en détail la structure interne.

Ces expériences nous permettent par exemple de visualiser les porosités au sein de leurs défauts structuraux. Il est aussi possible de réaliser des cartographies de propriétés mécaniques dans des sections de fibres de lin.

L’ensemble de ces travaux de recherche nous a permis de proposer différents scénarios de dégradation des fibres de lin au fil du temps, selon leurs conditions de dégradation, et de mieux cerner leurs points faibles. Nous avons ainsi observé que les défauts des fibres anciennes, tels que les fissures et les porosités, affectent directement leurs performances. Cependant, certaines fibres sans défaut et protégées de l’humidité peuvent conserver leur intégrité. Par exemple, des fibres provenant d’un tissu trouvé sous terre dans des conditions extrêmement sèches, d’un filet de pêche protégé par de la résine, ou d’un tissu conservé dans une tombe où les conditions atmosphériques sont très stables, présentent un état de conservation similaire à celui des fibres contemporaines.

Nous poursuivons ces travaux aujourd’hui avec d’autres techniques d’analyse : génétique pour tenter d’identifier les espèces de lin cultivées auparavant ou des études mécaniques plus approfondies ; mais aussi en étudiant d’autres fibres, en particulier du coton viking ou péruvien.


Le projet Anubis est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.The Conversation

Alain Bourmaud, Science des matériaux, Université Bretagne Sud (UBS); Camille Goudenhooft, Enseignante-Chercheuse en mécanique des matériaux et des assemblages, ENSTA Bretagne et Loren Morgillo, Post-Doc spécialisé dans l'analyse des textiles en fibres naturelles, Université Bretagne Sud (UBS)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.