Bouger pour mieux apprendre

Bouger pour mieux apprendre : comment lutter contre la sédentarité à l’écoleCet article est publié sur The Conversation par Silvio Maltagliati, Maître de conférence, Université Bretagne Sud (UBS), Boris Cheval, École normale supérieure de Rennes et Florent Desplanques, École normale supérieure de Rennes.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

 

The Conversation

 

L’école s’est longtemps construite autour d’une dualité entre le corps et l’esprit. Or l’activité physique bénéficie aux performances cognitives, nous dit la recherche, et la sédentarité a des effets néfastes à long terme sur le bien-être des jeunes. Comment changer la donne dans les établissements ?

Le manque d’activité physique est un facteur majeur de l’explosion mondiale des maladies cardiovasculaires, du diabète et de certains cancers. La sédentarité fragilise aussi la santé mentale et altère le bien-être quotidien des jeunes.

Malgré de solides preuves sur les vertus de l’exercice, les niveaux d’inactivité physique restent alarmants, et augmentent même depuis vingt ans chez les jeunes. Or, l’enfance et l’adolescence ne constituent pas de simples étapes de vie. Ce sont des périodes charnières au cours desquelles se forgent des habitudes de santé pour l’avenir. L’école – espace‑temps commun à presque tous les enfants de la nation – peut être un levier de changement essentiel.

Pourtant, loin de freiner cette tendance, l’école la nourrit. En France, entre le CP et la terminale, si l’on additionne toutes les heures de cours passées assis, nos enfants resteraient l’équivalent d’une année entière vissés sur une chaise, nuitées comprises. Constat d’autant plus marquant qu’il accompagne la baisse régulière de l’activité physique entre 7 ans et 15 ans. À cela s’ajoutent des disparités socioéconomiques et de genre : les petites filles issues de milieux défavorisés payant le plus souvent le prix de ces disparités.

Démystifier l’opposition entre corps et esprit

Une explication possible à l’omniprésence du temps sédentaire à l’école réside dans une croyance tenace, et pourtant infondée, qui oppose les apprentissages du corps à ceux de l’esprit. Le mouvement est ainsi souvent perçu comme un obstacle à l’apprentissage, associé à des comportements d’élèves jugés problématiques : « agités », « turbulents », « qui ne tiennent pas en place ».

Si les enseignants reconnaissent volontiers l’importance de l’activité physique pour la santé, ils méconnaissent encore souvent ses vertus sur les apprentissages. Pourtant, les travaux de synthèse sont sans équivoque. Pratiquer davantage d’activité physique améliore les fonctions cognitives, la structure et le fonctionnement cérébral, ainsi que les performances académiques.

Dans le contexte scolaire, les synthèses de la littérature montrent qu’une augmentation du temps consacré à l’activité physique se traduit par une amélioration des performances en mathématiques. Fait notable : aucune étude n’a mis en évidence d’effet indésirable de cette augmentation du mouvement à l’école sur les résultats scolaires. Autrement dit, activité physique et réussite académique sont complémentaires, et non concurrentes.

Faire une place au mouvement dans la journée scolaire

S’il est urgent d’agir, comment faire ? Il ne s’agit pas simplement de pointer du doigt les enseignants ni de leur dicter ce qu’ils devraient faire. L’enjeu consiste à leur proposer des pistes concrètes et réalistes pour intégrer davantage du mouvement à l’école.

Pour y parvenir, il semble d’abord nécessaire de transformer la culture scolaire et les représentations de la communauté éducative pour que le mouvement cesse d’être une simple parenthèse et devienne un pilier de chaque établissement.

La généralisation, dès la rentrée 2025, des tests d’aptitude physique dans toutes les classes de sixième pourrait constituer une avancée majeure en valorisant la dimension corporelle de l’enseignement et en renforçant le rôle de l’école dans la promotion de la santé publique. Dans la même logique, intégrer la question du mouvement et de la place du corps dans les critères d’évaluation des établissements scolaires renforcerait la prise de conscience de leur importance et adresserait un signal institutionnel fort.

Certaines expérimentations menées à l’étranger montrent également la voie au sein des classes. En Australie, la chercheuse Jo Salmon a développé un programme intitulé « Learning Through Moving » (« Apprendre en bougeant »), qui propose une plateforme pour aider les enseignants à intégrer le mouvement dans leurs classes. Ce programme mobilise plusieurs leviers comme des idées de pauses actives pour rompre la sédentarité en classe ou de leçons actives où le mouvement est directement lié aux contenus des apprentissages.

Dans une leçon active de chimie, par exemple, il est proposé d’illustrer les états de la matière en demandant aux élèves de modéliser le comportement des molécules dans les solides, les liquides et les gaz à travers des mouvements dans l’espace.

Au-delà de l’intégration du mouvement en classe, il s’agit aussi de repenser l’école elle-même, pour en faire un environnement propice à l’activité physique.

Un premier levier consiste à transformer les espaces scolaires afin de faire du mouvement l’option par défaut. Des expérimentations émergent déjà dans certains établissements, comme à Bruz (Ille-et-Vilaine), où élèves et personnels du lycée Anita-Conti sont encouragés à rester actifs tout au long de la journée grâce, notamment, à du mobilier actif (vélos-bureaux, bureaux assis-debout, etc.).

« Chalon-sur-Saône : des bureaux-vélos innovants dans une classe de CM 1 » (France 3 Bourgogne, 2018).

C’est dès la conception et la rénovation des écoles, collèges et lycées qu’il faut penser à cette intégration du mouvement, et le site Archiclasse propose des guides et des exemples inspirants.

Un second levier repose sur une réorganisation des temps scolaires, en intégrant dans les emplois du temps des créneaux spécifiquement consacrés au mouvement, comme au lycée d’État Jean-Zay (Paris). Dans un contexte de réflexion sur la refonte des rythmes scolaires, avec la convention citoyenne lancée en juin 2025, il est essentiel de rappeler que le mouvement doit y occuper une place centrale.

L’EPS : pilier essentiel, mais non exclusif dans la promotion du mouvement

L’EPS joue un rôle clé pour intégrer le mouvement à l’école, mais elle ne peut, à elle seule, répondre aux besoins quotidiens des élèves. Les associations sportives des établissements proposent aussi de nombreuses autres opportunités de pratique physique, mais peinent souvent à attirer les élèves qui en sont le plus éloignés.

Pour lutter efficacement contre la sédentarité, engager les élèves dans le mouvement doit devenir un objectif transversal, porté par toute la communauté éducative.

Le succès limité du récent dispositif « Trente minutes d’activité physique quotidienne » (avec 42 % des établissements ayant adopté la mesure), nous rappelle aussi que, si la recherche peut identifier des leviers d’action robustes, ces leviers ne sont pas toujours directement adaptés aux contextes spécifiques dans lesquels les enseignants exercent. En particulier, le nombre d’élèves par classe au sein d’espaces inadaptés constitue un obstacle évident dans la mise en place de tels dispositifs.

L’enjeu consiste donc à former et à accompagner les enseignants dans la co-construction des interventions. Ce sont eux qui connaissent le mieux leurs élèves, leurs caractéristiques, les contraintes de leur établissement, et qui peuvent proposer les adaptations les plus pertinentes. L’expérience montre que c’est à cette condition que les initiatives peuvent s’ancrer durablement dans les pratiques scolaires et, in fine, produire des changements durables dans les comportements des jeunes.

Maintenir les élèves immobiles pour apprendre relève d’un héritage pédagogique dépassé : corps et esprit sont profondément liés, et le mouvement est essentiel non seulement à la santé, mais aussi aux apprentissages. Dans un monde où notre tendance naturelle au moindre effort est exacerbée par des environnements toujours plus sédentaires – y compris à l’école –, le mouvement doit devenir une priorité éducative.The Conversation

Boris Cheval, Associate professor, École normale supérieure de Rennes; Florent Desplanques, Professeur agrégé d'EPS, chargé d'enseignement, École normale supérieure de Rennes et Silvio Maltagliati, Maître de conférence, Université Bretagne Sud (UBS)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.