Elections et déficience

Quels freins au droit de vote pour les personnes présentant une déficience intellectuelle ? Jeudi 23 mai, à un peu moins d’un mois des élections européennes, la faculté de Droit, Sciences Économiques & Gestion de l’Université Bretagne Sud organise le colloque « déficience intellectuelle et élections ». Un sujet d’actualité, sous un angle peu connu du grand public ! Nous avons discuté avec Jeanne Charlotin-Kervazo, co-organisatrice. En février 2023, elle soutenait à l’UBS une thèse en droit privé sur le sujet.

Pour commencer, que dit aujourd’hui la loi sur le droit de vote des personnes présentant une déficience intellectuelle ? 

D’abord, la déficience intellectuelle n’est pas une catégorie juridique et le droit ne régit donc pas directement ces personnes. En revanche, pendant longtemps, le juge a eu la possibilité de retirer aux personnes en tutelle le droit de s’inscrire sur les listes électorales – et donc par extension le droit de vote. Cela figurait dans l’article L5 du code électoral. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La loi a été modifiée en 2019, et cet article a été retiré du code électoral. Aujourd’hui, donc, toutes les personnes présentant une déficience intellectuelle ont le droit de s’inscrire sur les listes électorales. 

Maintenant que ce droit est affirmé, est-il pour autant effectif ? 

Il faut d’abord examiner s’il n’existe pas des dispositions légales ailleurs qui pourraient empêcher l’affirmation de ce droit. J’en ai fait l’exercice dans ma thèse, et ma conclusion est que non, il n’y en a pas. Un président du bureau de vote, par exemple, ne pourrait pas, avec ses pouvoirs de police, empêcher une personne de voter sous le prétexte qu’elle est manifestement hors d’état d’exprimer sa volonté. Ses pouvoirs de police se limitent à la préservation de l’ordre public.  

La loi est donc claire et l’affirmation du droit inébranlable. Mais dans les faits, existe-t-il d’autres freins à l’exercice du droit de vote pour ces personnes ? 

L’effectivité de ce droit n’est en effet pas complète. Il reste des barrières, et notamment celle de l’accessibilité. Physiquement, c’est compliqué pour des personnes qui habitent en établissements sociaux et médico-sociaux : le dimanche, il y a souvent moins de professionnels qui travaillent. Elles n’ont pas toujours le permis. Il y a moins de bus. Elles ne savent pas forcément bien se repérer dans l’espace… Ce sont des choses toutes bêtes. Et souvent, il faut un accompagnement humain. D’ailleurs, la loi le prévoit, en permettant à toute personne présentant une « infirmité certaine » de se faire accompagner par l’électeur de son choix dans l’isoloir. Mais cette disposition a sans doute été plutôt pensée pour le handicap physique et il faudrait qu’il y ait des réflexions autour de son utilisation pour un public déficient intellectuel. 

Comment accompagner les personnes déficientes intellectuelles dans l’exercice de leur citoyenneté ? 

Il faut développer l’éducation à la citoyenneté chez ces personnes. D’ailleurs, la loi dit bien qu’un suivi médico-social doit aussi permettre l’exercice de la citoyenneté : un accueil en établissement social ou médico-social ne devrait donc pas être un frein à l’exercice du droit de vote. Il faut former les professionnels. Il faut que le calendrier électoral rentre dans les habitudes des établissements. Des outils existent, des établissements ont expérimenté des choses très intéressantes, comme des cycles de formation adaptés à l’attention des personnes déficientes intellectuelles. Pour autant il y a forcément un « risque » : des votes seront sans doute un peu spoliés, des personnes influencées… Mais comme partout ! Pas besoin d’avoir un handicap intellectuel pour se faire influencer. Ma conclusion : Il vaut mieux une potentielle petite atteinte à la sincérité du scrutin qu’une grosse atteinte aux droits fondamentaux de toute une catégorie de personnes. 

 

Jeanne Charlotin-Kervazo est docteure en droit privé et formatrice en droit des personnes vulnérables. En 2023, elle a soutenu à l'UBS une thèse intitulée « Le droit de vote du majeur déficient intellectuel. Droit affirmé ou droit effectif ? » 

 

Colloque - Déficience intellectuelle et élections

Cette thématique sera abordée le 23 mai à Vannes lors du colloque Déficience intellectuelle et élections.

L'objectif principal de ce colloque sera d'une part de faire un état des lieux des différentes situations et des difficultés qui persistent autour des droits politiques des personnes présentant une déficience intellectuelle et d'autre part d'envisager des pistes d'évolutions concrètes. La démarche proposée consistera à faire dialoguer autour de ces problématiques les personnes concernées, leurs familles, les professionnels les entourant, les praticiens et les universitaires.

 

 

Crédits photographiques : ©Université Bretagne Sud. Service Communication