Ellis Island, au seuil du rêve américain
Ellis Island, au seuil du rêve américainCet article est publié sur The Conversation par Marie-Christine Michaud, Professeure des universités en études nord-américaines, Université Bretagne Sud.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Ellis Island, au seuil du rêve américain
Marie-Christine Michaud, Université Bretagne SudCette photographie a été prise dans le centre d’accueil des étrangers qui a ouvert en 1892 à Ellis Island, une île en face de Manhattan dans la baie de New York. C’est Lewis Hine (1864-1940) qui l’a prise – il fut un des premiers à utiliser la photographie comme un outil documentaire, notamment en faveur d’une plus grande justice sociale.
À la fin du XIXe siècle, de nombreux Américains craignaient un flux migratoire important et avaient réclamé des mesures pour le réduire. Le centre d’Ellis Island fut donc créé afin de sélectionner les candidats à l’immigration, de plus en plus nombreux en provenance d’Europe centrale, de l’Est et du Sud. À Ellis Island, il s’agissait de contrôler leur éligibilité et de repousser ceux qui représenteraient un problème social ou politique pour la nation.
Ellis Island est donc devenue une porte d’entrée de l’Amérique : une « golden door » pour les candidats européens à l’immigration, mais également un barrage pour ceux qui ne répondaient pas aux critères requis. Savoir lire et écrire, être en bonne santé, avoir des ressources suffisantes, ne pas être un anarchiste… entre autres. Ceux-ci étaient alors renvoyés dans leur pays d’origine – soit environ 2 % des 11,6 millions d’Européens arrivés entre 1891 et 1910 (période pendant laquelle cette photographie a été prise).
Aussi, Ellis Island demeurait « l’île de l’espoir », un surnom donné par les historiens et inspiré des rumeurs parmi les immigrants. Mais les conditions d’accueil étaient souvent précaires et longues, quelquefois brutales, inflexibles et traumatisantes.
L’image comme témoin de la réalité migratoire et comme outil politique
Lewis Hine, dans une démarche sociopolitique, a souhaité témoigner de cette réalité de l’expérience migratoire, que celle-ci soit triste ou optimiste ; c’était la spontanéité de la situation qui lui importait de saisir, comme on le voit sur cette photographie d’anonymes.
Par ailleurs, suite à ses photographies, des mesures ont été prises pour améliorer les conditions de vie des plus pauvres, par exemple pour améliorer la ventilation ou les sanitaires dans les immeubles où s’entassaient les étrangers (les « tenement houses »).
Cette image présente une femme avec ses deux enfants, originaires d’Europe de l’Est, sûrement de Russie. Avec les Italiens, les immigrants venant d’Europe de l’Est étaient les plus nombreux à immigrer dans le Nouveau Monde, terre promise et de liberté, au tournant des XIXe – XXe siècles. Ils fuyaient leurs conditions d’existence misérables, la répression et les troubles politiques qui sévissaient en Europe, par exemple les pogroms en Russie ou la construction de la nation italienne par Garibaldi.
Les femmes, qui immigraient rarement seules, accompagnaient leurs époux ou venaient les rejoindre quand ils s’étaient déjà expatriés. Ainsi, il est probable que la femme de la photographie vienne rejoindre son époux qu’elle n’a pas vu depuis des mois peut-être… ou qu’elle l’attende tandis que, dans une autre pièce, les officiers du service d’immigration d’Ellis Island et les médecins vérifient s’il peut être autorisé à entrer aux États-Unis.
La photographie est prise dans le Grand Hall du centre d’accueil, là où les nouveaux arrivants attendaient leur tour pour être examinés et que leur sort soit décidé par les officiers du service d’immigration. On voit derrière la femme et ses enfants une grande fenêtre. Coupée par les barreaux des vitres et en forme d’ogive, elle rappelle les vitraux des églises gothiques, donnant une dimension spirituelle au lieu, et à l’Amérique ; les sourires sur les visages des enfants et celui esquissé sur celui de leur mère laissent entrevoir leur espoir, leur confiance dans le Nouveau Monde, l’image positive qu’ils veulent donner au photographe qui semble les surprendre dans leur attente.
La fenêtre qui occupe l’arrière-plan de la photographie s’apparente à une ouverture vers un avenir meilleur en Amérique. En même temps, on a l’impression que les barreaux vont empêcher le passé de refaire surface. La composition de cette photographie rappelle l’attente et l’espoir des immigrants qui, après un périple transatlantique de plusieurs semaines, sont enfin arrivés à Ellis Island, au seuil du rêve américain, ce qui nous renvoie au superbe film d’Emmanuele Crialese Golden Door (2006) qui relate le voyage puis l’arrivée d’une famille sicilienne à Ellis Island au début du XXe siècle.
Marie-Christine Michaud, Professeure des universités en études nord-américaines, Université Bretagne Sud
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.