Les tiers lieux : la fin d’une mode ou le début d’une nouvelle ère  ?

Les tiers lieux : la fin d’une mode ou le début d’une nouvelle ère  ? Cet article est publié sur The Conversation par Clément Marinos, Maître de conférences en économie régionale, membre du Laboratoire d'Economie et de Gestion de l'Ouest, Université Bretagne Sud.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

 

 

Les tiers lieux : la fin d’une mode ou le début d’une nouvelle ère  ?

On dénombre aujourd’hui près de 3500 tiers lieux en France. Wikimedia commons, CC BY-SA
Clément Marinos, Université Bretagne Sud

La pandémie semble bien avoir changé la donne pour les espaces collaboratifs de travail. Le dernier panorama 2023 de l’Observatoire des tiers lieux dresse en effet un bilan plutôt positif avec une hausse constante de leur nombre  : 1800 en 2018, de 2500 en 2022 et 3500 en 2023, soit +100 % en cinq ans, avec un chiffre d’affaires annuel estimé à 882 millions d’euros. Mais s’agirait-il d’un développement en trompe-l’œil  ? Comme l’a indiqué début septembre à Libération Patrick Levy-Waitz, actuel président de France Tiers-lieux, l’expansion des tiers lieux nécessite à présent « un nouvel élan puissant ».

Un appel entendu par le gouvernement. Le 11 septembre dernier, la ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité, Dominique Faure, a annoncé que 80 projets de tiers lieux allaient être soutenus en 2023 dans « les territoires sensibles et fragiles sur le plan socio-économique ».

En 2018 puis en 2021, les gouvernements successifs avaient déjà apporté des soutiens financiers pour un montant total de 130 millions d’euros. Depuis, et bien que ces équipements soient devenus structurants pour nombre de territoires, les aides « ont été très en deçà de ce qu’elles devraient être », déplorait Patrick Levy-Waitz. Faut-il en conclure que les tiers lieux auraient vocation à disparaître sans soutien public  ?

Les tiers lieux associatifs, qui représentent la majorité d’entre eux (51 %), peuvent en effet souffrir de la dégradation des finances publiques des collectivités locales leur accordant des subventions.

Mais au-delà de cette pression sur les financements, on entend surtout depuis le début de l’été, ici ou , que le flexi-travail et le télétravail n’auraient plus le vent en poupe. Or, ces pratiques représentent une source de revenus non négligeable pour les tiers lieux. La question de la fréquentation rejoint en effet directement celle de la demande d’espace de travail.

Avec une inflation de près de 5 % ces deux dernières années, les travailleurs indépendants, accueillis quotidiennement dans deux tiers lieux sur trois, doivent en outre pouvoir assumer un coût supplémentaire, certains se voyant dans l’obligation de délaisser leur espace partagé (payant) pour des motifs financiers.

Objectifs contradictoires

Dans ce contexte, on peut interroger la capacité des tiers lieux à bifurquer pour poursuivre leur développement, autrement dit à imaginer des nouveaux choix de société, lorsqu’ils font face à des administrations en silo, fonctionnant à distance des problématiques locales.

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On sait que les tiers lieux ne sont pas des objets figés et qu’ils évoluent au gré des opportunités et de leur communauté. Leurs caractéristiques ne s’avèrent pas toujours compatibles avec les labellisations régionales ou les critères très rigides de sélection des appels à projets. Ainsi, le Wip à Caen (Calvados), contraint de fermer ses portes en juillet dernier après quatre ans d’existence, avait une structure qui ne lui permettait pas d’obtenir des aides. Intéressant, lorsque l’on sait qu’en moyenne, 49 % du chiffre d’affaires des tiers lieux provient des subventions publiques.

En s’intéressant à la sociologie des fondateurs de tiers lieux, nos recherches ont par ailleurs montré que les propriétés du projet étaient indissociables de leur parcours, leur personnalité, voire leur orientation politique. Par exemple, est-ce toujours la priorité d’un fab lab que de se préoccuper du chiffre d’affaires qu’il génère quand ses gestionnaires prônent la décroissance ? Attention donc à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain quand un tiers lieu n’atteint pas des objectifs qu’il ne s’est lui-même pas fixés.

« Bandwagon effect »

Il est intéressant de se référer au rapport du Sénat de 2017 pointant du doigt les faiblesses françaises en matière d’aménagement du territoire. Le document déplorait  :

«  Un développement sans cohérence des territoires par la superposition de projets sélectionnés au regard de différents critères tels que la rentabilité financière, la valeur ajoutée, l’amélioration des conditions de vie, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ou encore l’articulation avec d’autres équipements déjà existants  ».

Les tiers lieux ne seraient-ils pas plutôt une couche supplémentaire et un passage éphémère qu’une politique durable pour faire face aux enjeux de développement économique et de cohésion sociale ? Si c’est le cas, on pourrait, comme d’autres modes territoriales passées (bandwagon effect), assister, après la fièvre des tiers lieux, à la fin progressive du soutien de l’État.

En 2017, j’écrivais ici qu’en étant bien accompagnés, les tiers lieux pouvaient se développer sur l’ensemble du territoire (cette année-là, on constatait de grandes inégalités géographiques avec le l’Ouest et le Sud de la France plutôt bien dotés en tiers lieux contrairement au Nord et à l’Est).

Six ans plus tard, après plusieurs millions d’euros d’aides et la mise en place de dizaines de dispositifs dont le dernier vient d’être annoncé par le gouvernement, la question du développement des tiers lieux demeure toujours d’actualité. Reste que ce soutien doit toujours se faire sur mesure, au risque de voir se déliter la communauté et donc le projet qui va avec.

Clément Marinos, Maître de conférences en économie régionale, membre du Laboratoire d'Economie et de Gestion de l'Ouest, Université Bretagne Sud

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.