Derrière les murs, le droit : un cours inédit sur l’enfermement
Derrière les murs, le droit : un cours inédit sur l’enfermementDes prisons aux hôpitaux psychiatriques, en passant par les centres de rétention, des milliers de personnes vivent chaque jour privées de liberté. Deux enseignants de la Faculté de Droit & Science politique ont décidé d’en faire un sujet d’étude à part entière, à travers un nouveau cours : le droit de l’enfermement.

Alors que les conditions de détention de Nicolas Sarkozy font depuis plusieurs semaines la une de l’actualité, la question du respect des droits fondamentaux en situation d’enfermement refait surface. Si le sort d’un ancien président attire logiquement l’attention médiatique, il met aussi en lumière une réalité plus vaste : celle de milliers de personnes privées de liberté dans des lieux parfois oubliés du débat public.
C’est précisément ce que veulent interroger Éric Péchillon et Stéphanie Renard, enseignants-chercheurs à la Faculté de Droit & Science politique de l’Université Bretagne Sud, à travers un nouveau cours intitulé " Droit de l’enfermement ".
Penser le droit au-delà des murs de la prison
" Beaucoup est dit sur les conditions de détention indignes dans les prisons françaises. Mais les autres lieux d’enfermement – garde à vue, centre de rétention administrative, hôpital psychiatrique ou encore cellule de dégrisement – mobilisent beaucoup moins l’attention ", expliquent les enseignants.
Leur démarche s’inscrit dans la continuité de leurs travaux sur le Code pénitentiaire, le droit de la psychiatrie et les libertés fondamentales. Une rencontre avec une avocate niçoise, désespérée par les conditions d’isolement d’un de ses clients hospitalisés, a fini de les convaincre : " La privation de liberté ne devrait jamais emporter la privation de la dignité. "
Une matière encore sans territoire
Jusqu’à présent, aucun enseignement universitaire ne couvrait de manière transversale ces différents régimes d’enfermement. " La matière n’existait pas en tant que telle ", précisent-ils. Dispersés entre le droit pénal, le droit des étrangers, le droit de la santé ou encore le droit administratif, ces régimes partagent pourtant un même fondement : l’exercice du pouvoir public sur des individus privés de liberté.
Le cours ambitionne donc de mettre en lumière ces points communs et de comprendre comment le droit français et européen encadrent – ou parfois négligent – la dignité des personnes enfermées.
Un enseignement pour juristes engagés
Ouvert principalement aux étudiants de Master (droit public ou privé) et à ceux préparant le CRFPA (centre régional de formation professionnelle d’avocats) ou le concours de l’ENM (L'École nationale de la magistrature), le cours s’adresse aussi aux professionnels du droit dans le cadre de la formation continue.
Il explore les grands régimes d’enfermement, du centre de rétention à l’hôpital psychiatrique, et met l’accent sur un aspect souvent négligé : la claustration.
" Être enfermé, c’est être privé de toute autonomie : le détail du quotidien dépend intégralement de l’administration ", rappellent les enseignants. Cette réalité impose au droit de nouvelles exigences en matière de respect de la dignité humaine.
Un regard critique sur les angles morts du droit français
Ni cours de droit pénal, ni cours de libertés fondamentales, le Droit de l’enfermement propose une approche transdisciplinaire. Il met en évidence le retard du droit français sur la question des conditions matérielles et humaines d’enfermement.
" Dans certains centres de rétention, les conditions sont aussi indignes qu’en prison ", soulignent-ils. " À Orly, l’“espace enfant” de la zone d’attente mesure à peine 3 m². Sans lumière naturelle ni accès extérieur, des mineurs y sont parfois retenus plusieurs jours, séparés de leurs parents, nourris de compotes et de chips."
Une situation que les enseignants qualifient d’ " extrême, mais pas isolée ". D’ailleurs, un groupe d’étudiants de Licence 3 prépare une soirée d’études sur l’enfermement des mineurs, prévue à la faculté en janvier 2026.
Vers un droit global de l’enfermement
Au-delà de l’enseignement, Éric Péchillon et Stéphanie Renard travaillent à la rédaction d’un manuel et à la création d’un réseau de recherche avec des associations et des praticiens du droit.
Leur objectif : contribuer à la construction d’un droit global de l’enfermement, capable d’assurer une véritable garantie des droits fondamentaux.
" Il existe encore des résistances à l’entrée du droit dans les espaces de claustration ", reconnaissent-ils. Mais le mouvement est lancé. Et dans un contexte où le débat public redécouvre les murs de la détention, ce nouveau cours rappelle une évidence : le droit ne s’arrête pas à la porte des cellules.
Crédits photographiques : ©Université Bretagne Sud. Service Communication
A lire aussi
Le code pénitentiaire revisité par des enseignants de la faculté Droit & Science Politique






































