Interview - Rencontre avec Jean-Marie Heidinger artiste photographe en résidence à l'UBS

Rencontre avec Jean-Marie Heidinger , artiste en résidence à l'UBSPhotographe depuis 2008, voilà maintenant quelques années qu'il réalise des photos pour la presse. Il met également son œil de photographe au service de l'art en y apportant un regard d'auteur notamment sur l'intimité, la filiation et la famille. Au cours de ces derniers moi, Jean-Marie alors en résidence d'artiste s’est imprégné des lieux au contact des étudiants afin de restituer une œuvre photographique ayant pour thématique Les corps. C'est à l'occasion du Festival des Arts et de la Culture lors de sa restitution que nous l'avons rencontré.

Bonjour Jean-Marie, est ce que tu peux te présenter en quelques mots ? 

Bonjour, je suis Jean-Marie Heidinger. Je suis photographe depuis 2008. Ça fait déjà quelques années que je réalise des reportages et des portraits à destination de la presse. Ça, c'est une partie de mon travail et l’autre partie est un regard plus d'auteur qui travaille sur une partie de l'intime, de la filiation et de la famille.

Photographe de métier, tu es cette année en résidence à l’université Bretagne Sud, peux-tu nous expliquer le concept d’une résidence ?

Une résidence, c'est un espace de création qui permet à l’artiste d'aller effectuer une recherche ou un travail photographique. Mais c'est aussi un moment de rencontre avec le public et d'échanges notamment ici avec les étudiants et le personnel de l'Université Bretagne Sud.

Pour cette résidence, j’ai répondu à un appel à projet pour lequel j'ai monté un dossier. Dans ce dossier là, j'ai réuni mes précédents travaux, mes travaux en cours en fonction du thème qui était imposé. J'ai fait une note d'intention pour présenter ce que je voulais réaliser au sein de l'UBS.

L’UBS t’a proposé de travailler sur le thème imposé du corps, comment as-tu abordé le sujet ?

Le thème Les Corps n'est pas forcément facile parce que tout de suite, on a des idées, des clichés qui viennent en tête sur le corps nu. Je ne voulais absolument pas travailler là-dessus. Au début, je voulais partir sur la question du corps engagé au travers de l'engagement des différentes associations qui sont à l'UBS. Et je me suis aperçu que c'était compliqué de rencontrer les étudiants parce qu’ils sont très timides. A un moment, j’ai rencontré Benjamin Landré du service des sports, qui m'a évoqué qu’il réalisait un atelier cirque. Je me suis rendu à plusieurs ateliers et ce que j'ai aimé, c'était en fait ces contacts entre les personnes. Il y avait vraiment un esprit de corps au sein de ce groupe et donc j'ai commencé à un peu plus m'y intéresser, à venir sur les moments de répétitions. J'ai demandé à les voir à l'extérieur de ces ateliers cirque afin de réaliser des prises de vues pour mettre en scène ce corps au sein de l'université. Ce qui a donné lieu à des photos un peu improbables de poids contrepoids, de l'improbable au sein de l'ordinaire qu'est l'université. À Vannes, je me suis intéressé au corps qui s'exprime au travers de l'association d'éloquence. Je les ai rencontrés et j'ai voulu vraiment travailler sur ce corps qui s'exprime en réalisant des prises de vues lors de répétitions de discours, et pareil en les amenant au sein de l'université, de l’improbable au sein de l'ordinaire.

Comment prépares-tu ces rencontres ?

Au préalable, je réalise ce qu'on appelle un mood board. Je rassemble tout ce que je peux voir et qui m’inspire l'Histoire de la photo, dans des livres, sur des sites, mais aussi dans la littérature. Enfin, voilà, il y a plein d'influences que j’ai été chercher et que j’ai compilé dans un dossier. Après, il faut pouvoir se laisser porter et être ouvert. Et c’est ce qui s’est passé avec la rencontre atelier cirque. Au final, dans ce qu'on appelle le mood board ou carnet d’inspirations, j’ai été chercher encore plus loin. C’est-à-dire que j’ai été quasiment influencé par la peinture. J'ai fait mes études en Histoire de l'art et la peinture classique italienne est une grande référence pour moi et du coup, lors de mes prises de vues, j’ai plus été puisé là-dedans pour mettre en scène les gens. Pour vous donner des exemples, Caravage, Titien, sont mes principales références.

 

 

Peux-tu nous expliquer ta manière de travailler les thèmes et notamment celui de l’UBS ?

Les clairs-obscurs de Caravage, m'inspirent beaucoup au sein des prises de vues. Je n’ai pas essayé de reproduire à l’identique leur ambiance, mais plutôt de la retrouver dans les détails que j’ai photographié. J’ai utilisé un flash pour utiliser ces clairs-obscurs et les accentuer. Du coup, j'ai été vraiment chercher ces petits détails notamment avec l’association d’éloquence. Ces gens qui sont en pleine éloquence avec une gestuelle, ils sont quasiment arrêtés et on leur trouve des positions un peu improbables marqués par ces clairs-obscurs. Ça me fait penser à de la peinture.

Je réalise beaucoup mes portraits au flash, je ne sais pas si on peut dire que c'est une marque de fabrique, mais en fait, souvent, il faut un peu uniformiser les prises de vue et déboucher les ombres sur les visages. Les répétitions des ateliers de danse qui sont très clairs-obscurs offrent ces photos improbables de corps dans l’espace de l’Université.

Tu axes beaucoup ton travail sur l’être humain, le vivant, comment appréhendes-tu ces rencontres et les contraintes de faire ressortir le naturel dans des séries de portraits ?

Cette résidence fonctionne en plusieurs chapitres. Donc j'ai vraiment pris cette résidence comme un espace d'exploration d'un point de vue image naturelle et le naturalisme, on l'obtient en y passant du temps. Je suis issu du reportage à la base, je fais énormément de photos et forcément, il y a beaucoup de déchets. Mais au final, tu viens chercher ce qui fonctionne bien, les images qui se répondent entre elles. Donc forcément, il y a cette volonté d’obtenir une image un peu graphique. Après, c'est vrai que pour les mises en scène improbable de corps en équilibre dans l’espace, là oui, il y a moins ce naturel. On met en scène. Par contre pour les parties concours d'éloquence, j’ai laissé les gens définir un espace pour qu’ils puissent eux même s’y engouffrer.

Le thème du corps est à la fois un sujet libre, universel, mais avec cette part d’intimité, voire de secret, comment travailles-tu ici ta collaboration avec un public sensible sur le sujet tel que les étudiants et étudiantes ?

 C'est vrai que quand tu parles du corps, les gens peuvent tout de suite avoir un peu peur comme j’ai pu le voir sur les ateliers. La résidence, c’est un moment de création. Les gens ont tout de suite cette idée du corps et ça va être très compliqué. On en revient toujours à peu près à cette idée. Mais finalement, le corps est partout, c'est-à-dire qu'on est le corps social. On a l'expression corporelle, il y a énormément de manière pour photographier le corps et de plein de façons différentes. Le proposer en photos lors des ateliers, c'est une façon de parler du corps au sein de l'université. C'est un peu notre corps social, mais ça parle aussi de relation à l'autre. Je pense qu'il y a des photos en clair-obscur avec beaucoup de toucher. C'est vraiment du détail, avec des mains posées sur des corps. À travers ces images, il y a une symbolique. Surtout après cette période sanitaire où on a eu cette distance où il ne fallait pas s'approcher des gens. On avait un peu cette idée que l'autre devenait quelque chose de dangereux et d'avoir des photos où les corps sont rapprochés, on retrouve un peu cette délicatesse, de conjuration d'une époque révolue.

Avec les réseaux sociaux, nous avons cette facilité à se photographier. Mais dès qu'il s'agit d'être « shooté » par quelqu'un d'autre, il y a une barrière qui se met. Est-ce que tu le vois en tant que photographe cette évolution et est-ce que tu travailles là-dessus ?

Oui je me pose la question effectivement. On voit au fur et à mesure une volonté de contrôler de plus en plus son image et ça, c'est assez hallucinant. Il y a une remise en cause d’énormément de choses. Dans mon cas, il faut d'abord une mise en confiance et un cadre qui leur permet de sécuriser et de se laisser aller. Mais c'est vrai qu’il faut prendre du temps, discuter, échanger. Pourquoi tu es là ? Qu’est-ce que tu fais ? Et c'est ça qui est important.

Comment s’intègre ta direction artistique au sein de l’Université, as-tu carte blanche ?

Il y a vraiment eu carte blanche de la part du service culturel avec qui il y avait vraiment une relation de confiance. Ainsi que sur les ateliers. En fait la photo ne résulte pas du néant. C'est-à-dire qu'on a tous un passé et une histoire. On s'inspire les uns les autres. Quand je suis arrivé sur les ateliers au début, je voyais que les gens étaient un peu “secs”, c'est-à-dire qu'ils n'avaient pas d'inspiration. Et au fur et à mesure que je montrais des livres, on a commencé à faire des photos, copier ce qu'on voyait dans des livres. Les gens ont commencé à se sentir un peu plus libres et on a vraiment vu une évolution. En termes d'image, c'est intéressant ce qui s'est produit. Je trouve que les expositions des travaux des étudiants et du personnel qui ont lieu à Vannes et Lorient sont vraiment chouettes.

L'objectif était de leur faire effleurer ce qu’est un concept de création et du processus photographique, de la réflexion à l’édition d’un livre. J’ai manqué de temps pour le créer avec eux, du coup, je l’ai créé pour eux.

Où en es-tu dans ton processus de création sur le thème du corps ?

Il va y avoir plusieurs étapes. Une restitution du livret avec une exposition pour les travaux des étudiants qui a lieu lors du Festival des arts et de la Culture. Quant à mon travail de restitution, il se présente sous plusieurs formes. Des grands tirages de trois mètres par deux vont être posés sur les extérieurs de l’Université de Lorient et Vannes. Plus l’impression d’un dépliant et un tirage au format A1 ou 0 diffusé dans l’Université pour montrer le travail et l’expliquer.

Quels sont tes futurs projets ?

Je fais beaucoup d'appels à résidence, dont un dans le Pays Basque avec des Lycéens. J’ai aussi des commandes pour la presse, Le Monde, So good ou Society. Et puis pas mal de mise en forme de différents projets que je souhaite montrer à des Directeurs Artistiques. En ce moment, j’ai un gros travail personnel sur la question de la famille, de la filiation, à la question du père que je porte depuis 4-5 ans et que je souhaite présenter à des Festivals dans l’espoir qu’il attire l’œil des Directeurs Artistiques. Le travail au sein de l’UBS va également intégrer mon corpus d’œuvre et donnera peut-être lieu à des expositions ailleurs.

Quel conseil pourrais-tu donner à une personne qui souhaite faire de la photographie, son métier ?

Tout dépend de ce qu'elle veut faire comme type de photographie. Par exemple pour un reporter, faire Sciences Po, c'est quasiment plus pertinent que de faire une école de photographie parce que la photographie, tu peux l’apprendre en expérimentant. C'est ça qui est assez génial. On a vu des grands photographes qui étaient issus du commerce, de métiers complètement différents et qui avaient une expertise et une connaissance sur un sujet bien précis. Il n'y a pas vraiment de recette pour devenir photographe. Avoir de la curiosité, je pense que c'est la chose la plus importante. Du courage, dans le sens où des fois, il peut y avoir des projets très concrets où tu échanges avec le public et des fois en tant qu’artiste, tu peux rencontrer des grands moments de solitude face à ce que tu fais. Tu te demandes si c’est pertinent, si ça va intéresser.

Où peut-on retrouver ton travail ?

J’ai un site internet, mais qui ne présente qu’un condensé de mon travail. Après, il y a les réseaux sociaux, mais je ne suis pas très actif dessus. Je les traite plus comme un portfolio. Ce qui m’intéresse de plus en plus, c’est l’édition. Un livre reste et c’est plus intéressant. Tu retiens ce que tu veux montrer parmi des milliers de photos pour qu'elles correspondent les unes aux autres. C’est le regard de l’artiste.

 

 

 

Crédits photographiques : ©Université Bretagne Sud. Service Communication
Crédits photographiques : ©Jean-Marie Heidinger