Proches aidants : comment rebondir professionnellement et socialement

Proches aidants: comment rebondir professionnellement et socialementCet article est publié sur The Conversation par Frédéric Pugniere-Saavedra, Maître de conférences en sciences du langage, Université Bretagne Sud.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

 

 

Proches aidants: comment rebondir professionnellement et socialement

Frédéric Pugniere-Saavedra, Université Bretagne Sud

Il y a un peu plus d’un an que le projet de loi plein emploi a été présenté en conseil des ministres le 7 septembre 2022 par Olivier Dussopt, ministre du Travail et par Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées.

Ce projet vise à autoriser « les proches aidants à faire valoir les compétences acquises dans la prise en charge de la dépendance ou de la fin de vie d’un membre de la famille », et prévoit également « la comptabilisation des périodes de mise en situation en milieu professionnel au titre de la durée minimale d’expérience requise pour prétendre à la VAE ». Ce type de déclarations publiques et politiques régulières depuis le Covid montrent qu’il y a un vrai engouement pour les questions de l’aidance en France.

Ainsi, en 2019, après le premier confinement à la suite du Covid, le président de la République évoque les aidants dans son discours du 25 avril 2019 :

« Nous devons d’abord les [aidants] reconnaître, les nommer, mais aussi dans nos politiques publiques, leur bâtir une place dans notre réforme des retraites, leur construite des droits. »

Puis, en 2020 le même déclarait sur Twitter (6 octobre 2020)

« Il est souvent difficile pour les aidants de concilier vie personnelle et professionnelle, de souffler, de trouver un moment de répit, de penser à soi. Chacun a un rôle à jouer pour les soutenir, pour les soulager, pour alléger leur quotidien. La solidarité est à portée de tous. »

En 2021, la déclaration d’intention du premier ministre Jean Castex, accompagné d’Olivier Véran alors ministre de la Santé et de Brigitte Bourguignon, ministre déléguée à l’Autonomie, souhaitaient renforcer le financement de l’aide à domicile et en institution, avec l’engagement de recrutement de 10 000 soignants supplémentaires d’ici 2025.

Concrètement, ces déclarations conduisent à la Loi n°2019-485 visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants, au Décret n° 2022-88 du 28 janvier 2022 relatif à l’allocation journalière du proche aidant et à l’allocation journalière de présence parentale et, depuis la rentrée universitaire 2023, la revalorisation de quatre points de bourses pour les étudiants présentant un handicap et à ceux qui aident un parent en situation de handicap.

L’aidance : vers des compétences indiscutables…

À partir des données recueillies dans le cadre d’un projet de recherche qui vise à faire ressortir le vécu des aidants de malades d’Alzheimer au travers d’entretiens réguliers, on constate que les aidants mobilisent quotidiennement de nombreuses compétences en termes de démarches administratives, de soins et nursing, de vigilance, de soutien psychologique, de communication, d’activité domestiques et d’aménagement du domicile.

Entretiens réalisés en 2021.

Anatolie [aidante de son père] : « Alors on a demandé aux infirmiers, pour être plus indépendants et pour pouvoir aller se promener avec papa sans se soucier de l’heure de leur passage.., alors on met un bocal dans la boîte aux lettres un petit post-it hop « Merci de mettre les médicaments dans le bocal parce que nous sommes absents » et voilà ça marche comme ça, et ça a changé notre organisation du week-end. »

Valérie [aidante de sa mère] : « Ma mère sortait la nuit alors on la suivait sur son téléphone et à la fin on a mis un détecteur d’ouverture de porte qui nous envoyait des alertes sur nos téléphones et donc les derniers mois je me rappelle à la fin on se relayait avec mes sœurs pour assurer une sorte de permanence la nuit parce il fallait prendre la voiture à trois ou quatre heures du matin pour aller chez elle et le pire c’est qu’elle ouvrait la porte mais elle sortait pas et ça du coup on était bien embêtées parce qu’on s’était déplacée et on a fini, contre vraiment notre volonté, par laisser allumée la webcam de l’ordinateur et comme l’appartement était assez petit, on pouvait voir ce qu’elle faisait. »

Des compétences peu (ou pas) valorisées

Une étude menée en 2023 sur des profils LinkedIn mentionnant une expérience d’aidance montre que cette dernière est loin d’être une expérience d’emploi comme les autres car elle n’a pas son équivalent en prestige et en revenu, elle est d’ailleurs souvent reléguée au second plan à la rubrique « expérience » et bénévolat et lorsqu’elle est mentionnée dans la rubrique « expérience professionnelle », elle n’est pas autant mise en avant que pourrait l’être une expérience dans le secteur privé.

Dans les profils où cette expérience est mise en avant, c’est pour valoriser le versant humaniste et de care de l’aidant (prise en charge, soin, empathie…) via le recours à l’énumération de savoir-faire et de savoir-être. D’ailleurs, cette expérience modifie et réoriente parfois les trajectoires professionnelles dans le secteur de la prise en charge ou du soin porté aux autres dans le milieu associatif notamment. Cette expérience, si marquante pour certains, rend parfois difficile d’imaginer de devenir aidant pour autrui après le décès du proche.

Arthur [aidant de sa grand-mère] : « Ben c’est un truc que j’ai pu faire parce que c’était ma famille parce que ben j’ai pu aider ma famille mais j’en ferais pas mon métier […] je pense qu’il faut avoir quand même du recul, de la maîtrise un minimum de soi parce que ça peut être énervant d’être face à du non-sens […] je pense pas que j’aurais été aussi patient et aussi compréhensif si elle n’avait pas été de ma famille, c’est ça que je veux dire, et j’aurais pas été méchant mais j’aurais pas pu faire la même chose parce qu’il me manquerait une certaine perméabilité, surtout que je suis un hypersensible donc euh ça aide pas les choses. »

Cécile [aidante de sa mère] et reconnue en qualité de travailleuse handicapée (RQTH) : « Pour moi c’est un plaisir [d’aider les autres], ça m’apporte, ça me nourrit, c’est comme les livres […] j’avais eu le projet d’aller vers Jalmalv – fédération « Jusqu’à la mort accompagner la vie » association reconnue d’utilité publique – et j’y suis toujours adhérente, et j’avais entamé une formation initiale qui était celle d’accompagnante et en fait, ma santé s’est dégradée et je m’demande si ça m’a pas rendu service parce que je me suis aperçue que tout compte fait, j’étais incapable de reproduire cela pour quelqu’un d’autre. »

Vers une reconnaissance des compétences acquises (VAE) de l’aidant

Cette expérience, si marquante pour d’autres, conditionne des trajectoires de vie et après le décès du proche, l’aidant peut poursuivre son chemin vers l’aide à la personne en voulant faire reconnaître ses compétences par un parcours de VAE qui permet de valider les acquis de son expérience tout au long de sa vie pour favoriser son insertion ou son évolution professionnelle.

Aux côtés de l’enseignement scolaire et de la formation professionnelle continue, elle constitue un levier d’accès à la certification accessible à tous, sans condition d’âge, de nationalité, de statut, de niveau de formation ou de qualification. Bien qu’elle ne soit pas une formation à proprement parler, la VAE relève du champ de la formation professionnelle continue au même titre que les bilans de compétences.

Pauline [aidante de sa mère jeune atteinte de la maladie d’Alzheimer] : « Ma mère avait 50 ans et une maison de retraite pour son âge, c’était pas du tout adapté, ça c’était sûr, et puis un pôle Alzheimer ou quelque chose comme ça enfin, il y avait pas là où on habitait, donc je l’ai gardée à la maison pendant 5 ans. […] et puis j’avais plaqué mon travail parce qu’il me plaisait pas pour m’occuper de ma mère et quand elle est morte, j’étais essoufflée, épuisée. Et puis il a bien fallu que je me remette à bosser et c’est là que ça s’corse. J’ai galéré, vous pouvez pas imaginer ! J’aurais bien voulu reprendre des études mais c’était compliqué, j’me voyais pas avec des jeunes de 20 ans. Et puis ben pour bosser dans le privé, j’avais un trou de cinq ans dans le cv donc vous passez pour une grosse fainéante. Donc j’me suis dit pourquoi pas devenir famille d’accueil. »

Au regard des nombreuses compétences acquises au cours d’une expérience d’aidance et de la très forte tension dans le recrutement dans les métiers en relation à l’aide à la personne (aide à domicile, aide-soignant…), on peut espérer que le politique s’appuie sur ces deux constats pour mettre en place un dispositif qui valoriserait celles et ceux qui s’épanouissent dans l’accompagnement et/ou qui offrirait des possibilités de reconversion professionnelle, à celles ou ceux qui sont peu ou pas diplômés.The Conversation

Frédéric Pugniere-Saavedra, Maître de conférences en sciences du langage, Université Bretagne Sud

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